Strava : bonne ou mauvaise influence?
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TogglePourquoi parler de cette application?
Quand j’ai commencé la course à pied, de façon très irrégulière, je n’avais ni montre, ni application, rien. J’allais juste courir, et je rentrais. Ensuite, j’ai commencé à utiliser l’application Adidas Running, simplement pour voir le nombre de kilomètres que je faisais ; je ne regardais même pas mon allure. On est en 2020 à cette époque, et je cours avec mon plus beau brassard, mon téléphone à l’intérieur, et l’application activée.
C’est en 2022 que j’entends parler de l’application Strava. J’ai déjà une montre premier prix que j’utilise simplement pour suivre la distance et l’allure, et qui m’est utile pour mes premières séances de fractionnés. On me parle de Strava, des kudos, j’installe, mais je n’y prête pas vraiment attention. Les années passent, et aujourd’hui, tout le monde (ou presque) utilise Strava. Moi y compris. Et j’adore cette application. Mais j’ai aussi remarqué des dérives, des comparaisons néfastes, j’ai beaucoup débattu sur ce sujet et je me suis dis : pourquoi pas écrire un article? Le voici, bonne lecture.
Strava, qu’est-ce que c’est ?
C’est une application mobile et un site web qui permettent d’enregistrer, analyser et partager ses activités sportives : course à pied, vélo, randonnée, etc. Avec plus de 150 millions d’utilisateurs à travers le monde, elle combine GPS, statistiques détaillées et dimension sociale : on peut suivre ses amis, commenter leurs sorties et se challenger sur des segments chronométrés.
Avec un tel nombre d’utilisateurs, ne pas avoir Strava peut te faire passer pour un extra-terrestre. Et on a tous déjà entendu cette phrase : « Tout ce qui n’est pas sur Strava ne compte pas. » Moi-même, j’ai déjà râlé parce que j’avais oublié ma montre (qui est directement connectée à l’application) avant une sortie, et j’ai demandé à mes proches de m’identifier sur la leur pour que la sortie apparaisse tout de même sur mon profil. Mais pourquoi faire ? Ça ne change rien. Les kilomètres sont dans les jambes. Je le sais, c’est l’essentiel, non ? Qui n’a jamais tourné devant chez soi pour arrondir à 10 km au lieu de s’arrêter à 9,97 ? Et dans cette même dynamique, qui ne s’est jamais comparé aux autres en pensant : « Mince, je suis nul·le à côté d’un·e tel·le, qui court à telle allure que je n’atteindrai jamais… »
Strava a de multiples facettes : on peut très bien l’utiliser pour partager ses sorties de manière bienveillante, mais on peut aussi tomber dans un usage néfaste, où la comparaison prend le dessus. Et parfois, cette comparaison pousse certain·es à arrêter, voire à ne jamais commencer.
Comment moi, j’utilise Strava ?
Comme expliqué plus haut, j’ai découvert Strava tardivement, en 2022. À l’époque, je courais peu : une ou deux sorties par semaine maximum. C’est aussi cette année-là que j’ai commencé le trail (été 2022). J’ai dû faire moins d’une dizaine de sorties trail cette année-là. L’application traînait donc sur mon téléphone, et j’ai commencé à l’utiliser plus sérieusement fin 2022 / début 2023.
Pour dire, j’ai découvert l’existence des KOM / QOM (King / Queen of the Mountain) seulement fin 2024. Point info : ce sont des segments sur lesquels on peut apparaître en tête du classement si l’on est la personne la plus rapide. La plupart des gens qui me parlaient des QOM étaient des amis garçons (oui, ils aiment la bagarre), et je trouvais ça à la fois drôle et motivant.
En 2025, j’ai fait mon premier segment à bloc juste pour tenter de décrocher le QOM. Mince, je me suis laissée influencer ! Je suis tombée dedans. Une vraie Straveuse (oui je viens d’inventer ce terme).
Aujourd’hui, j’utilise l’application au quotidien. Je partage toutes mes sorties, je distribue des kudos aux copains, et je trouve ça super. Mais en discutant autour de moi et avec ce que j’ai pu observer, je pense qu’il y a des limites, ou plutôt des points de vigilance.
Utilisation de Strava → Comparaison et dérives ?
Nous vivons dans une société où les réseaux sociaux occupent une place importante dans nos vies. La course à pied, le trail, le triathlon ou encore l’Hyrox sont des sports en pleine expansion. De nombreuses personnes s’y mettent et partagent leurs exploits. Et c’est génial que des gens trouvent leur passion sportive et s’y épanouissent ! Mais d’autres ne s’y retrouvent pas, tombent dans le piège de la comparaison, et cela peut devenir un cercle vicieux.
Il est facile de tomber dans la comparaison, surtout quand on débute la course, le vélo ou la natation (les trois activités principales de la plateforme).
J’ai des amis qui m’ont déjà dit : « Moi je ne mets pas mes sorties en endurance fondamentale, j’ai honte, je suis à 7-8 minutes au kilomètre, je ne peux pas publier ça. »
D’autres tombent dans la comparaison plus malsaine : « Il/elle a fait tel chrono sur ce 10 km, je vais m’entraîner pareil ! ». Mais sans avoir le même niveau, la seule chose que cela risque d’apporter, c’est : une blessure. Se comparer à quelqu’un de niveau similaire et se fixer des objectifs, c’est très bien. C’est même motivant. Mais surcharger ses entraînements pour essayer de copier quelqu’un d’inaccessible, c’est là qu’on entre dans le cercle du risque de blessure et du surentrainement.
Il y a aussi le côté psychologique : publier ses sorties, c’est s’exposer. Et parfois, on a peur de ne pas être « à la hauteur ». « J’ai fait mon premier 10 km avec tel chrono maintenant je ne peux plus faire moins, sinon j’ai honte. »
Mais non ! Faire un chrono, c’est le fruit d’un entraînement adapté, qui comprend aussi des allures lentes, du travail en endurance fondamentale (EF), des intensités variées. Ce n’est pas s’entraîner à bloc à chaque sortie pour « prouver » quelque chose. Ce n’est pas ça, progresser. Et ça mène souvent à l’épuisement ou à la blessure.
Récemment, on a vu apparaître des cas de personnes payées pour courir avec la montre d’un autre, pour que ce dernier ait une activité visible sur Strava. Une seule question me vient : Pourquoi ? Pour la reconnaissance ? Pour montrer qu’on est sportif ? Très probablement. Cela révèle un besoin humain d’estime, de valorisation. Mais qu’est-ce que ça vaut, au fond ? Quel mérite a-t-on à tricher ? Aucun.
Le sport est une démarche personnelle. On peut être fier de partager ses réussites, et c’est totalement normal d’avoir envie de recevoir des encouragements. Moi-même, j’aime quand on me félicite après une course, c’est humain. Mais il faut garder du recul.
Autres points :
Tu sais, ce moment où tu tournes devant chez toi pour arrondir à 10 km ? Est-ce que ça change vraiment ton entraînement ? Non.
Et ce jour où tu as oublié ta montre ? Ce n’est pas « comme si tu n’avais rien fait ». Tes jambes, elles, savent ce que tu as fait. Et puis, soyons honnêtes : est-ce que les gens regardent vraiment tous les jours ce que tu fais ? Tu n’as rien à prouver. Tu cours pour toi.
Je l’ai fait, comme beaucoup. Il y a un mois encore, j’ai oublié ma montre et demandé à mon copain de m’identifier sur sa sortie pour que je l’aie aussi sur mon compte. Pourquoi ? Parce qu’on sait que des gens vont voir notre sortie. On veut que ça apparaisse. Mais au fond, est-ce qu’ils y prêtent tant d’attention ? Pas vraiment. Et même si c’est le cas on s’en fiche.
Les « mauvais Straveurs », selon moi
Il y a quelques années, un ami qui fait de l’athlétisme m’a montré un compte Instagram qui exposait les « tricheurs » de Strava : personnes qui annonçaient des performances exceptionnelles, mais dont les données montraient clairement des incohérences.
Exemple : un « 10 km en 39 minutes, PR ! » sauf qu’en regardant bien, la montre a été arrêtée 3 fois pour faire des pauses. Résultat ? Le temps n’est pas juste.
Ou encore : des sorties indiquées comme « en EF » à 4:30/km avec une FC moyenne de 170 bpm ; clairement, ce n’est pas de l’EF.
Souvent, ce n’est pas volontaire : beaucoup pensent vraiment être en endurance fondamentale, faute d’information fiable. Et vu ce que racontent certains coachs sur les réseaux, on comprend que ça prête à confusion.
Petit rappel utile sur l’EF et la formule de Karvonen
Chaque personne a une endurance fondamentale différente. Pour la définir avec précision, le plus fiable reste un test d’effort en laboratoire (coûteux, on est d’accord).
Un autre moyen est la formule de Karvonen, mise au point par le physiologiste Martti Karvonen en 1957 :
FC cible = (FCmax − FCrepos) × % intensité + FCrepos
Dans la littérature, on situe généralement l’endurance fondamentale en dessous de 140 bpm, même si cette valeur peut varier selon les individus.
—> Ainsi, si tu vois une personne se dire « en EF » mais tourner à 165 bpm, ne te compare pas. Peut-être qu’elle ne connaît pas sa vraie zone.
—> Il n’y a aucune honte à courir lentement, à ralentir pour travailler cette zone. C’est justement en passant par là qu’on progresse !
Conclusion : Strava, on garde ou on supprime ?
Pour ma part, j’adore ce réseau social. J’aime partager mes sorties, voir ce que font mes proches, les soutenir. J’aime aussi recevoir des encouragements après mes courses. Je l’utilise aussi pour suivre mes activités, analyser ma progression (en complément de Garmin). Bref, j’en suis fan.
Mais oui, j’ai aussi connu les pensées parasites :
« Je dois courir, ça fait trois jours que je n’ai rien posté »,
« Mince, je suis lente à côté d’un·e tel·le, alors qu’il/elle est en EF »,
« Je vais mettre pause à mon feu rouge, ça fausse ma moyenne »,
« Est-ce que j’ai eu des kudos sur ma dernière sortie ? »
Aujourd’hui, je m’en fiche. Je connais mes données, ma méthode d’entrainement, je sais que beaucoup de gens ne maîtrisent pas toutes ces infos alors je ne me compare plus.
La comparaison est le plus gros frein pour beaucoup de personnes. Certains n’osent pas publier leurs sorties, pensant qu’elles sont « ridicules ». D’autres n’osent même pas se lancer. Et tout ça, pourquoi ? La peur du jugement. Mais si Strava t’apporte plus de pression que de plaisir, alors laisse tomber l’appli et cours pour toi. Le sport, c’est avant tout du plaisir, pour soi, pas pour les autres. Et ceux qui te jugent ? Ce sont souvent ceux qui aimeraient faire ce que tu fais. Tu verras, peu importe ton niveau : tu recevras surtout des retours positifs.
Alors… allez, allons courir à 8:00 au kilo tous ensemble.